CASSE DES CHAISES APRÈS UN MATCH PERDU, UNE QUESTION NERVEUSE OU SPIRITUELLE 

CASSE DES CHAISES APRÈS UN MATCH PERDU, UNE QUESTION NERVEUSE OU SPIRITUELLE 

« Les jeunes méprisent les lois et ne reconnaissent plus l’autorité de rien ni de personne ; c’est le début de la tyrannie. » Platon

Pendant que le Ministre des sports kongolais cherche à redorer l’image de marque du pays en sponsorisant les clubs espagnols en dépensant des millions de dollars, à Kinshasa, des jeunes offrent, à la face du monde, un spectacle hideux. Ils cassent les chaises du stade des Martyrs. Ce fait est-il anodin ? Est-ce un fait divers ? Comme d’habitude, au Kongo-Kinshasa, après les réactions ayant suivi le match, on est déjà passé à autre chose. Dieu merci ! Quelques compatriotes ont quand même chercher à étudier les causes profondes de cette casse et à proposer des solutions pour éviter que la chose ne puisse de reproduire. Ils n’ont pas emprunté la voie de la condamnation à la suite de Platon. Ce texte abonde dans le même sens. Il lit dans ce qui s’est passé à Kinshasa une question profondément spirituelle.

La casse : expression d’un  »mal-vivre »

Mardi 09 septembre 2025, au stade des Martyrs à Kinshasa, un match de football opposant le Kongo-Kinshasa au Sénégal se termine par un score de 2 buts à 3. Le Sénégal gagne. Plusieurs jeunes kongolais qui étaient très enthousiastes du début du jeu lorsque leur équipe nationale avait une avance de 2 buts deviennent majoritairement tristes. A la fin du match, un groupe important de jeunes commencent à casser les chaises du stade. Qu’est-ce qui pourrait expliquer ce passage de la joie à la triste et à la destruction du « bien commun » ? Est-ce vraiment raisonnable ? Pourquoi cette explosion spontanée de la violence ? D’une violence apparemment gratuite ?

Dans l’histoire du Kongo-Kinshasa, en 1959, les feux furent mis aux poudres après un match de football. Oublier ce fait historique serait un peu irresponsable. Soit !

Analyser la casse faite par les jeunes après le match susmentionné comme un acte isolé pourrait fausser sa compréhension. Cette casse peut être une résultante de la massification des jeunes. Dans la foule sans objectif commun et concerté, les individus sont atomisés. Leurs réactions émotionnelles échappent au contrôle de la raison. Cette casse peut aussi être interprétée comme étant l’expression d’une amertume d’une jeunesse majoritairement prise dans la spirale de l’ennui et de la recherche permanente du divertissement. Elle peut être l’expression d’une approche déphasée du jeu au cours de laquelle l’autre, l’adversaire, est lu comme un ennemi à éliminer (au propre comme au figuré). Dans un pays en guerre perpétuelle, la vision de l’autre peut être vite édulcorée et la recherche de quelque victoire que ce soit et à tout prix semble être valorisant. Elle flatte les ego individuels et collectif. La défaite plonge dans le malaise et provoque de la frustration. Profondément, ce malaise et cette frustration peuvent trahir un « « mal vivre », celui d’une vie qui ne s’accomplit jamais, qui ne fait que s’occuper en se divertissant et en « profitant ». [1]» Cette vie désorientée a perdu « sa raison de vivre ».

Les causes profondes et l’éducation comme remède

Quelle pourrait être la causse profonde de « ce mal vivre » ? Il est, entre autres, le fruit du feu mis au « bosquet initiatique » par l’hégémonie culturelle dominante. Ce  »mal vivre » a partie liée avec la production d’un « Etat-raté-manqué »[2] au coeur de l’Afrique après plus de trente ans de guerre perpétuelle. Cet « Etat-raté » n’est pas encore arrivé à répondre aux questions essentielles face auxquelles sa population de plus en plus nombreuse est placée. Cet « Etat-manqué » a des structures dont la fonctionnalité laisse à désirer. (Pour prendre un exemple. Les jeunes cassaient les chaises et la police était absente.)

Comment répondre à ce « mal vivre » ? Prioritairement, en recréant l’Etat et en la refondant dans ses fonctions essentielles dont celles de la protection de la famille et de l’éducation de la jeunesse à la citoyenneté. Protéger la famille, c’est lui assurer ses droits élémentaires afin qu’elle puisse mieux assumer ses devoirs et répondre à la nécessité : manger, boire, se loger, se soigner et envoyer ses enfants . Eduquer, « c’est rendre citoyen, c’est civiliser, c’est-à-dire apprendre à substituer le droit à la force afin que la raison l’emporte sur la pulsion. [3]» C’est créer des espaces sociaux et matériels où la parole échangée fait école, produit des liens. Cela dans la mesure où « la citoyenneté est avant tout le résultat d’une intégration sociale. Il faut apprendre à coexister, à vivre ensemble, à concilier des conceptions diverses, voire opposées de l’existence. [4]» Donc, « éduquer, c’est apporter du contenu à ces liens, c’est créer des réciprocités, c’est proposer à chacun d’être l’un des dépositaires du trésor collectif, d’être de ceux qui l’enrichiront, d’être aussi face à la génération suivante, un passeur de témoin. [5]» La création des réciprocités guérit de l’approche marchande de l’autre réduit au simple rang de compétiteur à éliminer et non d’une altérité dont on peut apprendre.

Donc, une bonne éducation est « semblable à un art ; elle est une création perpétuelle qui progresse en provoquant des rencontres toujours nouvelles. [6] » Et « cet affrontement, ce front à front, cette rencontre des intelligences est l’instant du passage à témoin, l’instant de la mise en commun du trésor collectif. [7]» Une bonne éducation peut conduire à lire dans un match de football une participation à l’art de la rencontre. Elle peut être assurée en marge de l’école, dans les collectifs citoyens[8] organisés à la base de la société kongolaise par des aînés épris du Bomoto.

Une éducation dispensée comme « art de la rencontre » peut vaincre l’amertume, l’ennui, la frustration et « le mal-vivre » qu’elle engendre. Elle peut être promotrice d’un « bien-vivre » tout en luttant contre  »les idéologies de fortune promettant la liberté » en s’inscrivant contre « l’action essentielle ».

Travail et/ou transformation des états d’esprits ?

Au Kongo-Kinshasa, la croyance selon laquelle le travail donné aux jeunes les guérirait du « mal-vivre » est l’une des choses les plus partagées. Est-ce vrai que là où les jeunes ont du boulot, « le mal-vivre » a disparu ? Ce n’est pas évident. Il me semble que ce dont il est prioritairement question, c’est de « transformer les états d’esprits », de réformer les esprits afin qu’ils soient capables de saisir le sens de leur « action essentielle ». Donc, la question de la jeunesse kongolaise est fondamentalement une question spirituelle. Elle devrait être préparée à se départir de l’idolâtrie du travail afin d’en pénétrer la véritable signification. Il en va de même de l’Etat kongolais à refonder.

Les jeunes et cet Etat devraient comprendre que  « l’idolâtrie du travail, de la croissance, oublie que l’action est ouverture aux autres, fondation d’une communauté qui n’est pas seulement de transaction, mais une communauté avec des autrui, marquée par l’échange symbolique. L’action vise à instaurer une communauté d’hommes définis comme pairs, unis par un lien social qui s’établit au-delà de l’utilité économique de chacun dans une prodigalité sans cesse recommencée.[9] » Elle est au coeur de la dette sociale portée par ces trois verbes : donner, recevoir et rendre. Elle privilégie les Bantu à la place des bintu. Elle est enracinée dans le traditionnalisme héroïque du « Bantu mbimpe tualomba matamba » (les Bantu sont meilleurs, nous pouvons leur demander des feuilles de manioc.)

Et les gouvernants enracinés dans ce traditionnalisme vivent en symbiose avec tous leurs sujets en promouvant « l’action essentielle ». Pourquoi ? Ils savent que « Mukalenge bantu bamuvinga bantu, kabatu bamuginga nsona. » (Le chef, on le couvre des Bantu et non de la paille (des choses, des bintu).

Donc, ce qu’il y a à cultiver d’urgence chez les jeunes kongolais, c’est le « buimpe », « la noblesse du coeur » « la grâce du coeur », « la bienveillance », « la générosité », etc. afin qu’ils apprennent à faire un usage sensé des « bintu’‘ de ce monde au profit du noeud des liens humanisants induits par la réformes des coeurs et des esprits et le partage des projets collectifs assumés dans des espaces sociaux et matériels de la société kongolaise au sein desquels la parole demeure un outil fabuleux.

Elle permet la production de l’intelligence collective par le débat rationnel et raisonnable au sujet du devenir collectif de la jeunesse kongolaise. Donc, la parole fait le lien entre la tête et le coeur. Elle peut bien servir les valeurs du Bomoto dans le chef de la jeunesse kongolaise.

 

LPP/INGETA

 

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