La justice malade : on n’a jamais raison d’avoir tort, mais on peut très bien avoir tort d’avoir raison ».
« J’ai besoin d’une justice qui est correcte, qui est efficace. C’est sur cette justice que nous bâtirons l’État de droit que nous voulons. Cet État qui va transformer le Congo ».
S.E. Félix Antoine Tshesekedi Tshilombo, Message du 22 février 2023.
Dans sa conférence de presse du 22 février 2023, le Chef de l’État Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo a fustigé la justice congolaise en la qualifiant de « justice malade ». Il renchérit en disant que « la justice pourrait être considérée comme la tache d’huile sur son premier quinquennat ». Ce discrédit de la justice congolaise par le Chef de l’État, est corroboré par le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux Constant Mutamba qui fait un diagnostic sombre sur le corps judiciaire, dénonçant ce qu'il appelle des "réseaux mafieux" au sein du système et s’engage à réformer profondément le secteur de la justice sous le leadership du Chef de l'État, qui, dit-il, l’a nommé pour redresser la justice congolaise et redorer son image. Pour le Ministre de la justice rien n'arrêtera cet engagement ferme du Magistrat Suprême, et les réformes courageuses sont en cours et vont se poursuivre à la satisfaction générale de notre peuple.
Au cours de la neuvième réunion du Conseil des Ministres, sous la houlette de la Première Ministre Judith Suminwa Tuluka, vendredi 16 août 2024 à Kinshasa, le Gouvernement a annoncé l’organisation des états généraux de la justice. « Neuf ans après les assises de 2015, il sera question selon le porte-parole du Gouvernement Patrick Muyaya, d'évaluer le niveau de mise en œuvre de celles-ci tout en formulant des actions concrètes au regard de l'état actuel de la justice ». Ces états généraux porteront sur le thème principal : « Pourquoi la justice congolaise est-elle qualifiée de malade ? Quelle thérapie face à cette maladie ? ».
Face à ce triste constat partagé par tous les acteurs, selon Ministre de l’information, porte-parole de l’Exécutif, il devient urgent de faire un diagnostic sans complaisance des maux qui rongent notre justice afin de lui administrer une thérapie de choc à travers des réformes profondes.
Oscar Shamba Bemuna, criminologue et professeur à la Faculté de Droit de l’Université Pédagogique Nationale, Professeur dans les écoles de criminologie de la RDC et Chercheur au Centre de recherche en sciences sociales, a dans le cadre des journées scientifiques organisées par ce Centre, fait son propre diagnostic de la justice congolaise qualifiée de malade, surtout de la justice pénale. La justice étant plurielle, il espère que d’autres scientifiques (juristes, criminologues sociologues, politologues), vont continuer avec les diagnostics sur la justice sociale, administrative, constitutionnelle, militaire.
Pour le professeur Oscar Shamba, ce constat sur la justice congolaise que d’aucuns considèrent de tardif et d’hypocrite, interpelle le monde scientifique qui s’interroge de la sincérité des politiques de réformer la justice congolaise. Depuis l’indépendance, après avoir hérité les différentes lois, les différents régimes qui se sont succédés, ont fait de la réforme de la justice le cadet de leur souci. Toutes les tentatives de réformes de la justice ont échoué. Les différents travaux sur la réforme de la justice en RDC, certains, sont soit perdus (1970) et d’autres, sont soit dans les tiroirs (réformes de 2006 et 2008, 2015).
Plusieurs pénalistes et criminologues se sont penchés sur cette question pour doter la RDC d’une part, d’un ordonnancement juridique authentique inspiré autant de la culture et des réalités sociologiques congolaises et d’une pénalité nouvelle d’autre part.
Sur le plan de la justice pénale, la RDC, a hérité le code pénal belge de 1886. Du point de vue axiologique, ce code pénal congolais ne correspond plus aux valeurs de la société congolaises actuelles. Nous nous retrouvons, 64 ans plus tard après l’indépendance avec le code pénal que le professeur P. Akele Adau d’heureuse mémoire, qualifie d’un respectable, qui a subi à plusieurs et reprise des greffes. C’est un Code « défiguré par un nombre impressionnant de liftings, chirurgie esthétique faite de retouche, de réformes ponctuelles, plus ou moins importantes » et de toilettage. Il a connu divers interventions « d’infiltrations, d’orthopédie, d’amputation, de noyautage, de truffage, d’édulcoration, d’élagage, de défoliation, d’élongation, de raccourcissement, de castration…. ». Certaines de ses dispositions sont anticonstitutionnelles.
Selon le professeur Nyabirungu mwene Nsonga : « un code pénal ayant régi l’ordre colonial ne peut pas demeurer valable pour fonder un ordre républicain et un État souverain…». Nous n’avons encore rien compris poursuit-il : « que le Code pénal est le siège des valeurs essentielles de toute société et que ces valeurs ne peuvent pas être les mêmes ni affirmées de la même façon aussi bien dans une société soumise que dans une société libre ». Les concepts du genre : indigène, servitude, travaux forcé… sont en encore d’usage jusqu’aujourd’hui.
Le professeur J.P. Fofe Djofia Malewa parle d’une méfiance des justiciables à l’égard de la justice pénale et la double distorsion entre la norme pénale, la réponse pénale et les réalités physiques, économiques et socioculturelles. Il parle d’inadaptation d’une justice formaliste, incompréhensible pour les justiciables et dont les exigences et les réponses ne reflètent en rien leurs attentes, les conduisant ainsi à se détourner des circuits officiels. Certains magistrats font du bricolage qui vont du compromis à la compromission pour résoudre les conflits que le système actuel étouffe.
Pour le professeur Oscar Shamba Bemuna, s’il faut dire que mieux vaut tard que jamais, l’urgence qui s’impose pour la réforme de la justice, requiert un diagnostic en amont et en aval du la justice pénale en générale et du code pénal congolais en particulier. Pour lui, une réflexion sur l’état actuel de notre droit pénal et sur notre code pénal comme protecteur de valeurs de la société congolaise soixante-quatre ans après l’indépendance de la RDC est plus qu’urgente.
Il faut, dit-il, de manière générale, s’interroger sur le processus de production de la norme pénale avant l’indépendance tout comme après l’indépendance de la RDC d’une part et sur les conditions d’application de ces normes pénales par les magistrats d’autre part (criminalisation primaire et criminalisation secondaire).
Il pense que parmi les maux dont souffrent la justice pénale congolaise, il y a cette problématique de la production de la norme pénale et de son application. Si les prémisses sont fausses ou incorrectes, dit-il, les conclusions seront aussi fausses. Comment peut-on s’attendre une bonne justice pénale avec le code pénal que le professeur Akele Adau considère comme «obsolète, vieux de plus 120 ans et croulant, cédant de plus en plus devant le retour d’un droit traditionnel mal configuré et luttant maladroitement contre la désaffection du public »? Comment peut-on espérer une bonne juste avec « des lois que le professeur qualifie « des lois criminogènes » ?
Le criminel c’est l’autre : C’est bien d’accuser les magistrats mais c’est beaucoup mieux de repenser cette justice pénale en amont et en aval. Les magistrats sont « mauvais » quand ils sont corrompus mais bons quand ils obtempèrent à certains ordres et subissent le trafic d’influence.
Selon le professeur Oscar Shamba la justice congolaise en générale et la justice pénale en particulier apparait aujourd’hui comme mue par un populisme sans vision, ce sont les justiciables les plus vulnérables qui en pâtissent (emprisonnement accru, aggravation des peines…). C’est une justice en difficulté structurelle, épistémologique et axiologique. Elle repose sur des savoirs surannée et des idéologies de domination.
Pour ce Criminologue, la justice est « une question qui demeure plus que jamais sans réponse ». Elle est traditionnellement représentée par un symbole connu qui mérité d’être décrit : une femme au maintien droit, soutenue par l’épée, un bras levé portant une balance et les yeux bandés.
Ces symboles sont pourvus de sens. La justice renvoie donc, à la rectitude, armement, impartialité et équilibre des intérêts. Il ressort de diagnostic de ce Chercheur du Centre de recherche en sciences humaines que la justice pénale congolaise ne repose sur aucune valeur de justice et d’équité. Il n’y a ni rectitude, ni impartialité encore moins un équilibre des intérêts dans le processus de la production législative. La production législative avant l’indépendance et après indépendance repose sur le souci de sauvegarder les acquis politiques et la protection du pouvoir. Le cadre même ou cette justice pénale doit être rendue fait défaut. Les moyens financiers ne suivent pas (frais de fonctionnement). La corruption commence déjà lorsque les policiers et magistrats sont contraints de recourir aux justiciables pour demander les stylos et les papiers pour dresser les procès-verbaux.
Cette bonne femme souffre de plusieurs pathologies ataviques et congénitales depuis l’indépendance jusqu’aujourd’hui dont les causes sont dans les idéologies politiques coloniales et postcoloniales de domination. Si la Constitution congolaise et tant d’autres lois du pays étaient des femmes, au nombre de leur violation, même le Dr Mukuege n’en serait pas capable de réparer.
Dans cette société des plaintifs, nous nous plaignons devant Dieu pour qu’il nous donne la nourriture pendant que ce dernier à pourvu notre sol et sous-sol de tout sauf rien. Nous nous plaignons auprès de la communauté internationale de trouver la solution à la guerre nous infligée par les pays voisins pendant que c’est la même communauté internationale qui en est l’instigatrice. Nous nous plaignons auprès du chef de l’Etat et de la première dame de trouver de solutions aux problèmes dont nous sommes de fossoyeurs. Nous accusons les magistrats de corrompus alors que les lois, elle -mêmes, portent la marque de la corruption (morale, éthique, politique, économique et religieuse).
Selon le professeur Oscar Shamba Bemuna, nous devons cesser de nous plaindre pour engager des reformes rationnelles. Il faut donc, repenser la justice à l’aune des réalités socio-culturelles congolaise pour son efficacité et son efficience. Pour ce faire, il pense que le changement de paradigme est plus que urgent. Il faut, dit-il, une mutation pénale qui va de l’ordre de la répression punitive pour une nouvelle pénalité, prenant en compte les intérêts des parties (délinquants, victime et État). Le fonctionnement du système pénal congolais doit, être pensé en termes d’effectivité, d’efficacité et d’efficience par le développement et la diversification des réponses pénales à tous les niveaux de la justice pénale c’est-à-dire au niveau de la criminalisation primaire et la criminalisation secondaire. Il salue le bravoure du Ministre de tutelle Constant Mutamba et lui demande d’engager des reformes pénales à tous les niveaux (criminalisation primaire et criminalisation secondaire et de définir surtout une politique pénale adéquate.
Professeur Oscar Shamba Bemuna