Le phénomène dit kuluna en RDC : comprendre et expliquer les pratiques « délinquantielles » des jeunes communément appelés Kuluna
Il y a plus de deux décennies que l’on parle du phénomène kuluna dans la ville province de Kinshasan, capitale de la RDC. Les jeunes communément appelés kuluna défraient la chronique par des actes d’une extrême violence: viols, vols, bagarres rangées, règlements de comptes entre groupes rivaux dans des quartiers, meurtres, détentions d’armes blanches…
La population kinoise est confrontée à un phénomène d’insécurité et de violence, créé notamment par la présence de jeunes constitués en bandes urbaines qui se livrent à des actes répréhensibles (vol, viol, meurtre, agression ) ; ces jeunes qui intimident, injurient ou menacent les citoyens et les forces de l’ordre.
Ce phénomène kuluna n’épargne personne, il fait des victimes non seulement entre les jeunes, mais aussi dans la population kinoise. Pour une certaine opinion, si rien n’est fait, cette situation peut contribuer progressivement à la création de « « zones de non-droit » dans la ville de Kinshasa, une intervention urgente du gouvernement est plus que nécessaire.
Il sied de noter que ce phénomène Kuluna présente en effet, un vaste ensemble de facettes différentes, non seulement dans sa nature et dans les activités criminelles qu’il déploie, mais aussi de par la violence des actes commis par ces jeunes qui ont entre 14 et 35 ans.
Les différents gouvernement qui se sont succédés depuis plus de deux décennies, avaient fait de la sécurité et de l’insécurité, une de leurs préoccupations essentielles. Plusieurs méthodes ou stratégies ont été mises sur pied pour lutte contre le phénomène kuluna dont entre autres :
- opération tolérance zéro, (l'opération qui consistait à arrêter l'acteur ou les acteurs des faits criminels, les juger en audience publique et, après condamnation, ils étaient transférés vers les prisons qu'on leur choisissait à l'intérieur du pays (dans les provinces). Comme en RDC, il n’ y a pas la continuité des services publics, après le départ du professeur Luzolo Bambi de ce ministère en 2012, son successeur n’a plus continué avec l’opération.
- Deux autres opérations ont été menées entre fin 2013 et début 2014 par la police congolaise appuyée par les services de renseignements congolais. Une opération appelée « Likofi » (coup de poing) contre les Kuluna, réclamée par la population, avait permis, selon une certaine opinion, à la police de contenir le phénomène kuluna. Mais le modus operandi de la police avait suscité plusieurs critiques, on l’a reproché par certaines organisations des droits de l’homme d’avoir commis plusieurs
- En 2020, avec l’avènement du Président de la République, son Excellence Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo, ce régime successeur du régime initiateur des précédentes opérations avait changé la façon de combattre ce phénomène, cette fois-ci avec de méthodes un peu douce sans écoulement de sang.
Le Président Tshisekedi avait trouvé, à travers les Kuluna, une main d’œuvre nécessaire pour le service national. Au lieu de la peine de mort comme le souhaite certain, le Président avait opté pour leur affectation dans les travaux d’intérêt général. Pour ce faire, le chef de l’Etat avait instruit le gouvernement de développer le service national créé depuis 1997, en multipliant le nombre des centres de formation et de réinsertion professionnelle.
L’objectif était de trouver un moyen plus approprié pour rééduquer ces jeunes Kuluna par le travail d’intérêt général. Du point de vue phénoménologique, le Président de la république est plus que convaincu que la lutte contre la criminalité en générale et le phénomène kuluna passe par la formation professionnelle de jeunes. Malgré les actes répréhensibles qu’ils ont posé, ces jeunes restent toujours des êtres humains, membre de la société qu’il faut approcher et aider.
C’est vers la fin de l’année 2020, que la police va embarquer quelques centaines de Kulunas, à Kaniama Kasese dans la province de Lualaba, afin d’être imprégnés du patriotisme et travailler dans les plantations pour le compte du service national.
Malgré la volonté du Chef de l’Etat d’aider ces jeunes à retrouver le bon chemin, on constate que le phénomène kuluna va de mal en pis. Ce qui a poussé successivement le ministre de l’intérieur, son Excellence Jacquemin Shabani de lancer l’opération « Ndobo » ou « hameçon » et son Excellence Constant Mutamba de lancer « opération zéro kuluna ».
Sans nier l’existence de ce phénomène kuluna, nous sommes seulement contre le débat perverti, les discours politiques et les paroles de « pseudo experts » dans le champ de l’insécurité, qui considèrent ces jeunes comme des monstres, des faisceaux des mauvaises intentions ou des racails qu’ils faut éliminer ou mettre hors d’état de nuire en leur infligeant une peine de mort. Comme qui dirait : « basukisi biso motema »n « tolembi bango ».
Nous fustigeons de manière générale la construction médiatique, policière et politique de ce phénomène kuluna. Pour nous, ce n’est pas un phénomène nouveau. Seulement, nous constatons que certains faits divers de délinquance des jeunes occupent une place croissante dans l’actualité médiatique et sont présentés comme des manifestations d’une sorte « de nouvelle barbarie ». Il y a, de l’amalgame entre la délinquance la plus bénigne et la plus grave de certains jeunes kuluna. Ceci dénote un manque d’un état des lieux sur ce phénomène (statistiques policières, judiciaires et pénitentiaires) pour ensuite développer « un projet de lutte adéquat.
Sans intention aucune de remettre en cause ces deux méthodes de lutte contre le phénomène kuluna, nous pensons que ce n’est pas une expertise scientifique qui fait défaut sur cette problématique, il y a une littérature abondante sur cette question, le professeur Raoul Kienge Kienge, le général Kanyama, le général Kasongo pour ne citer que ceux-là, ont produit des recherches de qualité sur ce phénomène. Nous avons eu à diriger plusieurs travaux scientifiques( mémoires, travaux de fin de cycle…) sur cette thématique.
De toutes ces recherches, il ressort quelques point communs sur l’échec des différentes opérations :
-Absence d’une politique publique en la matière, -absence d’une politique pénale ou criminelle, -le manque des moyens logistiques et stratégiques pour la police,-la complicité de certains policiers avec les Kuluna, -corruption de certains magistrats instructeurs des dossiers mettant en cause les Kuluna, -récupération politique du phénomène kuluna, -stigmatisation de jeunes, refus de prendre en compte l’expertise des scientifiques…
Il faut dire que ce phénomène kuluna, bien qu’ayant fait l’objet de plusieurs recherche, sa compréhension nous oblige de prendre distance par rapport aux clichés ou à la stigmatisation de ces jeunes pour les considérer comme des acteurs ayant un point de vue. Raison pour laquelle lors de notre intervention sur la radio okapi, nous avons dit qu’il n’y a ni des bandits ni de kuluna à Kinshasa mais des jeunes désignés en tant tels, que nous considérons comme des jeunes en manque de repères, des jeunes frustrés, sans avenir, qui se considèrent comme des « rebut de la société ». Il faut nous poser des bonnes question pour une bonne prise en charge. Seule la menace de la peine ne suffit pas, il faut une approche holistique pour trouver des solutions idoines.
Dans une mégapole comme Kinshasa, nous pensons que la lutte contre la criminalité de manière générale et le phénomène kuluna en particulier passe par une bonne urbanisation de la ville. La question est celle de comment rendre compte de l'apparition et de la perpétuation de la délinquance dans certains quartiers particuliers. Comment expliquer que certaines communes et quartiers de la ville de Kinshasa, sont plus touchés que d'autres par ce phénomène kuluna ?
Nous répondons en disant que la nature, en écologie, a horreur du vide, la délinquance remplit finalement les zones particulièrement défavorisées. Selon les sociologues américains : "dans la nature, des matières étrangères tendent à se rassembler et à s'agglomérer dans chaque crevasse, chaque fissure, chaque interstice. Il y a de la même façon des fissures et des cassures dans la structure de l'organisation sociale congolaise. Les bandes de jeunes peuvent être regardées comme un élément interstitiel dans le cadre de la société, et le territoire du gang est une région interstitielle dans le tracé de la cité". Certains communes ou quartiers de la ville de Kinshasa sont devenus comme de “ région interstitielle ” c’est-à-dire des espaces particuliers, qui échappe à la propriété commune et au contrôle social.
Ainsi, pour comprendre les pratiques « délinquantielles » des jeunes kuluna, il faut donc, partir de l'espace urbain où vivent ces jeunes car selon les sociologues américains "de même que les ressources naturelles d'une région ou d'un territoire déterminent de façon générale les activités de ses habitants, de même l'habitat du gang, c’est-à-dire l’environnement dans lequel il vit, forme les intérêts de ses membres. C’est-à-dire détermine leurs activités".
Certains communes ou quartiers sont considérés comme de "zones urbaines de détérioration morale" caractérisées par des conditions sociales et économiques défavorables, des véritables camps d’entrainement de « criminels ». Nous pensons que ce milieu sous prolétarien de ces zones repoussoirs des grandes villes de la RDC, constitue le centre de recrutement du milieu délinquant proprement dit, dont les traditions et les mœurs s'ébauchent dans les bandes d'adolescents.
Nous pouvons dire que le phénomène kuluna est lié au degré de désorganisation de la société congolaise. Ce sont les autorités urbaines qui sont les premières responsables de la délinquance. Dans des communes où les chefs des avenues, les chefs des quartiers sont presque absents, il est difficile de connaitre qui est qui, qui fait quoi. Les autorités de la ville sont incapables des produire des registres de la populations et des compositions des ménages. Un petit recensement suffit pour situer géographiquement chaque citoyen et renforcer le contrôle de proximité. Ces kuluna n’habitent au ciel, ils ont des parents, la participation de tout le monde dans la lutte contre ce phénomène est plus que nécessaire.
Nous pouvons conclure avec la citation de Christian Debuyst qui dit : «Le comportement humain (y compris le comportement délinquant) se comprend comme une réponse significative à une situation vécue d’une façon spécifique et subjective, donnée par un sujet en vue d’atteindre certains objectifs socio-économiques. La façon dont le sujet vit cette situation et la façon dont il y répond sont colorées par les projets qu’il se fait pour son avenir et par les expériences qu’il a vécues dans le passé. D’une part, ces expériences ont été canalisées par la trajectoire que le sujet a parcourue à travers les relations et les institutions sociales et par les significations sociales qui lui ont été imposées. D’autre part, elles sont limitées et orientées par les dynamiques psycho-sociales qui mènent le sujet à sélectionner, interpréter, choisir, négocier ce qui lui arrive socialement. Ces expériences, signifiées par le sujet, orientent donc dans une large mesure sa perspective et ses objectifs pour l’avenir, où se situent les motivations de son comportement actuel ».
Nous saluons la volonté des Ministres de lutter contre ce fléau mais nous pensons qu’une bonne prise en charge de ces jeunes, demande non seulement des moyens financiers mais une connaissance approfondie de ce phénomène kuluna. Il faut concilier les deux paradigmes, celui du passage à l’acte criminel et celui de la réaction sociale.
Professeur criminologue Oscar shamba Bemuna