Les Etats-Unis sont un pays riche. Il y a des Kongolais(es) qui ne le savent pas (Tribune de Jean-Pierre Mbelu)

La question du deal entre les Etats-Unis divise les Kongolais(es). Pourquoi ?
Des compatriotes ont peur que leur pays ne devienne le 51ème Etat américain. D’autres croient que ce deal est indispensable. Il va procurer la paix au pays de Lumumba. D’autres encore souhaitent que le Kongo-Kinshasa mobilisent des élites capables de négocier ce deal de façon qu’il soit gagnant-gagnant. Pour eux, cela est possible. Pour eux, le Président américain, Trump, est « un messie » pour le Kongo-Kinshasa. Il va sauver, à travers ledit deal, « la gâchette de l’Afrique » de la balkanisation et de l’implosion. Ils ont des preuves. Ils soutiennent que l’histoire témoigne que les USA ont participé positivement à la fin de la colonisation du Kongo-Kinshasa. A quel prix? Ils ne répondent pas à cette question.
Bref, il y a un débat interkongolais dont les minorités éveillées devraient tenir compte. Et puis, l’une des questions que ne semble pas soulever ce débat est la suivante : « Pourquoi, les USA, un pays immensément riche, a besoin d’un deal sur les matières stratégiques du Kongo-Kinshasa ? » L’une des réponses assez simpliste à cette question est qu’ils sont en compétition avec la Chine. D’accord. Mais pourquoi le Kongo-Kinshasa doit-il être le lieu où les deux s’affrontent ? Quelle est la finalité de cet affrontement ? Plusieurs compatriotes ne répondent pas à cette question.
Les USA ont 60% de la richesse du monde
Plusieurs compatriotes ne tiennent pas compte du fait que les Etats-Unis sont un pays immensément riche dont la métapolitique constitue, souvent, un mystère pour les « non-initiés ». Oui, les Etats-Unis sont un pays immensément riches et ils le savent. Pour le savoir, il est souhaitable d’étudier et de connaître leur histoire.
Telle est l’une des misères kongolaises actuelles : faire le plus de buzz possible même s’il faut « enseigner l’ignorance » et la bêtise. Le mépris du livre, le rejet de l’esprit critique et du débat nécessaire à la production de l’intelligence collective risquent de finir par faciliter, au coeur de l’Afrique, la recolonisation de sa « gâchette » avec des applaudissements.
En 1948, un groupe appartenant à l’ élite américaine présente un texte au Pentagone dont voici le contenu : « Nous avons à peu près 60% de la richesse du monde, mais seulement 6,3% de sa population. Dans cette situation, nous ne pouvons éviter d’être un objet d’envie et de ressentiment. Notre véritable tâche dans la période qui vient est d’imaginer un système de relations qui nous assure de maintenir cette disparité. [1]» Et il ajoute : « Ne nous berçons pas d’illusion que nous pouvons nous permettre le luxe d’être altruistes et bienfaiteurs de l’humanité. Nous devons cesser de parler d’objectifs aussi vagues et irréels que les droits de l’homme, l’élévation du niveau de vie et la démocratisation. Le jour n’est pas loin où nous aurons à agir selon des concepts de pure puissance. Moins nous serons gênés par des slogans idéalistes, mieux cela vaudra. [2]» Ce projet ne devait pas éveiller des soupçons. Il était porté par un désir de conquête de « toutes les régions destinées à subvenir aux besoins de l’économie américaine, c’est-à-dire, selon un de ses concepteurs, « l’espace mondiale stratégiquement indispensable pour s’assurer la maîtrise du monde, trouver de nouvelles terres, se procurer facilement des matières premières, en même temps qu’exploiter la main-d’œuvre ‘servile à bon marché’ des indigènes. [3]» En sus, « développer l’esprit des colonies leur permettra également d’écouler les marchandises produites dans leurs usines.[1]4»
Ce projet a vu le jour une année après la publication de la Charte des Nations-Unies promouvant les principes de l’égale souveraineté entre les Etats, de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat tiers, de la réciprocité entre les Etats et du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes.
Ce projet vient s’inscrire en faux contre le respect de cette Charte en promouvant la règle de l’hégémonie américaine. Donc, lorsque les USA vont s’en prendre à la Belgique et au roi Léopold II afin de mettre fin à la colonisation du Kongo-Kinshasa, ils ne s’inscrivent pas dans une dynamique civilisationnelle. Non. C’est en vue de leur néocolonisation de ce pays et non pour les beaux yeux des Kongolais(es). A partir du moment où l’uranium kongolais leur avait permis de jouer un rôle déterminant au cours de de la deuxième guerre mondiale, ils avaient décidé d’en faire leur chasse gardée au grand dam de la Belgique[5] et du Kongo-Kinshasa.
Mobutu et le schéma expansionniste
S’assurer la maîtrise du monde, tel fut, au cours de la deuxième guerre mondial, l’objectif majeur de l’empire américain. Trouver de nouvelles terres, se procurer des matières premières à moindre frais en vue de réaliser des bénéfices mirobolants , cela a été la fin de cet expansion capitaliste.
Toutes les fois que Mobutu a cherché à sortir de ce schéma capitalo-expansionniste, « l’empire de l’intelligence » et ses globalistes ont tout fait pour le rappeler à l’ordre.
La Charte de l’ONU et les alliés de cette grande puissance devraient en payer les frais. Le Kongo-Kinshasa en a aussi payé les frais. Son premier ministre fut assassiné et la dictature de Mobutu fut instaurée.
Toutes les fois que Mobutu a cherché à sortir de ce schéma capitalo-expansionniste, « l’empire de l’intelligence » et ses globalistes ont tout fait pour le rappeler à l’ordre. Des témoignages écrits existent. En voici un. La guerre menée par procuration contre le pays fut orchestrée par « l’impérialisme intelligent ». « Ayant établi que Mobutu était un obstacle à la poursuite de l’exploitation des richesses en ressources du Congo, le Canada et les États-Unis ont choisi un nouvel allié en la personne de Laurent-Désiré Kabila, chef d’une rébellion armée dans l’est du pays, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). L’AFDL était également soutenue par des pays voisins, le Rwanda et l’Ouganda, deux autres avant-postes de la puissance américaine. [6]»
Trump : le sauveur du Kongo-Kinshasa ?
Après Mobutu, Laurent-Désiré a été assassiné après avoir cru qu’il pouvait rompre les liens créés avec les proxies des puissances expansionnistes et faire du Kongo-Kinshasa un Etat souverain.
Le Kongo-Kinshasa n’ a pas besoin de devenir le 51ème Etat des USA. Il devrait l’un des fers de lance de l’avènement du monde multipolaire en gestation en participant activement aux luttes émancipatrices que mène le Sud Global tout en diversifiant son partenariat stratégique.
Après Laurent-Désiré Kabila, ces puissances expansionnistes et globalistes ont promu à la tête du pays un mercenaire. Il les a aidées à fragiliser les institutions du pays en facilitant l’infiltration d’autres mercenaires et en dépossédant de tous ses moyens matériels, politiques, économiques, sociaux, culturels et spirituels d’actions.
L’actuel gouvernement du pays voudrait négocier un deal avec les USA en vue de rompre avec la spirale de l’hégémonie dominante dans laquelle le pays est pris depuis la Conférence de Berlin (1884-1885). Ses « communicateurs » et ses « analystes politiques à plusieurs cerveaux » soutiennent cette démarche. Ils estiment que l’administration Trump pourrait, une fois pour toutes, sauver le pays du risque de la balkanisation et de l’implosion. Elle pourrait trouver une solution durable à la guerre dont le pays souffre depuis plus de trois décennies. Trump serait un homme de paix.
D’accord. Néanmoins, cette façon de voir les choses pose des questions liées à l’histoire des USA. L’administration actuelle peut-elle leur rendre leur grandeur en renonçant à ses visées expansionnistes et hégémoniques d’hier ?
Lorsque les « communicateurs » et « les analystes kongolais à plusieurs cerveaux » traitent du salut que l’administration américaine actuelle pourrait apporter au Kongo-Kinshasa, ils mentionnent le rôle que pourrait jouer Erik Prince, un proche du président Trump, au pays de Lumumba. Le problème est qu’ils ne semblent pas avoir suffisamment lu ou écouté cet ancien des forces spéciales américaines et fondateur de la société militaire privée Blacwater. Il est aussi possible qu’ils l’aient écouté et qu’ils soient d’accord avec lui sur la recolonisation de l’Afrique et de l’Amérique Latine.
En effet, Erik Prince est un critique acerbe de ce qu’il considère comme étant « la mauvaise gouvernance » en Afrique et en Amérique Latine. Interroge là-dessus et recourant à un discours pseudo-humanitaire, Erik Principe répond : « Si vous allez dans ces pays et que vous voyez comment ils (les peuples) souffrent, sous les gouvernements absolument corrompus qui ne sont que des syndicats du crime, beaucoup d’entre eux méritent mieux.[7]» D’où pourrait venir leur salut ? Pour Erik Prince, « il est temps pour nous (les américains) de remettre notre chapeau impérial et de dire que nous allons gouverner ces pays si vous êtes incapables de vous gouverner vous-mêmes. » C’est clair et net. Le projet impérial est toujours en marche. « A son interlocuteur qui demandait s’il s’agissait de « coloniser à nouveau », Prince a répondu : « Absolument. ».[8]» Tout est dit. Dans les réponses d’Erik Prince, la Charte de l’ONU dont les principes ont été rappelés aux Rwandais et aux Kongolais dans « la Déclaration de l’Accord de principes » dont il a été question aux Etats-Unis il y a quelques semains est ignorée comme en 1948.
La misère kongolaise
Passer tout le temps à commenter les questions dites d’actualité, chercher à avoir beaucoup plus de « coeurs » après des émissions sur Youtube après avoir proposé des « réponses rapides » aux questions existentielles du pays, cela ne laisse pas aux « communicateurs » et « aux analyses à plusieurs cerveaux » le temps de lire, de se former et de s’informer aux sources alternatives.
Lutter contre la recolonisation du Kongo-Kinshasa est une question existentielle.
Telle est l’une des misères kongolaises actuelles : faire le plus de buzz possible même s’il faut « enseigner l’ignorance » et la bêtise. Le mépris du livre, le rejet de l’esprit critique et du débat nécessaire à la production de l’intelligence collective risquent de finir par faciliter, au coeur de l’Afrique, la recolonisation de sa « gâchette » avec des applaudissements. Le niveau de ceux et celles qui sont considérés comme des « élites » s’affaiblit davantage.Ils se sont transformés en « commerçants ». « Les communicateurs » et « les analystes politiques à plusieurs cerveaux » sous formés et sous-informés sont en train de s’emparer de l’espace public. Les minorités éveillées ont du pain sur la planche.
Lutter contre la recolonisation du Kongo-Kinshasa est une question existentielle. Il n’ a pas besoin de devenir le 51ème Etat des USA. Il devrait l’un des fers de lance de l’avènement du monde multipolaire en gestation en participant activement aux luttes émancipatrices que mène le Sud Global tout en diversifiant son partenariat stratégique.
Babanya
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[1] D. MITTERRAND, Le livre de ma mémoire, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2007, p. 408. [2] Ibidem, p.408-409. [3] Ibidem, p. 408. [4] Ibidem. [5] La lecture d’Annie Lacroix-Riz et de Daniele Ganser peut inciter à repenser le titre du livre de Ludo De Witte intitulé « L’ascension de Mobutu. Comment la Belgique et les USA ont installé une dictature« , Bruxelles, Investig’Action, 2017.
La Belgique avait-elle réellement les coudées franches face au pays ayant initié le plan Marshall et dont l’un des présidents avait décidé que Lumumba devait être assassiné après qu’il ait pensée à la nationalisation des entreprises minières kongolaises ? Pour aller plus loin, Lire A. LACROIX-RIZ, Les origines du plan Marshall. Le mythe de « l’aide » américaine, Paris, Armand Colin, 2023. Lire surtout les pages 56 à 62. Annie Lacroix-Riz note que « l’aspiration des Etats-Unis au contrôle du monde avait exclu d’emblée toute discussion que des « sphères d’influence » avec leurs alliés officiels, britannique et soviétique. » Pouvaient-ils le faire avec la Belgique ? En lisant Annie Lacroix-Riz, il est clair qu’il n’en a pas été question. »Une brève histoire de l’empire américain. Le mythe de l’exceptionnalisme », Paris, Demi-Lune, 2021, à la page 171 indique que les USA voyaient en Lumumba un danger dans la mesure où il envisageait la possibilité de nationaliser les entreprises minières opérant au Kongo. Et que « lors d’une réunion du puissant Conseil de sécurité nationale en août 1960, Eisenhower a donné au directeur de la CIA, Allen Dules, la permission d’ »éliminer » Lumumba. » (p.172)
[6] Autrefois dirigée par Patrice Lumumba, chantre de l’anticolonialisme, la République démocratique du Congo a de facto été recolonisée par le capital occidental | Investig’Action (investigaction.net) [7] A. ORAIN, Le monde confisqué. Essaie sur le capitalisme de la finitude (XVIe-XXIe siècle), Paris, Flammarion, 2025, p.260. [8] Ibidem.
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